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Etats Généraux de l'Automobile

 

 

 

 

 20 janvier 2009, les Etats généraux de l’Automobile

 

Quelques réflexions d’un ancien Directeur du Produit de Renault (1984/1995)

 

I/ Ampleur de la crise

 

Si la crise financière est exceptionnelle, la crise dans l’automobile ne l’est pas encore : les années 1974 puis 1993 ont vu se développer des secousses terribles pour l’industrie automobile ; en 1993, le marché européen s’était effondré de 17% et n’a retrouvé son volume normal que trois années plus tard, malgré « balladurettes » et autres incitations. On peut donc prévoir qu’on n’est qu’au début de cette crise qui va s’aggraver en 2009.

Notamment en France où l’automobile est, depuis quelques années, diabolisée par les Pouvoirs Publics et les médias, politiquement corrects :

 

-          les conducteurs seraient pour la plupart, des délinquants qui polarisent, plus que les malfrats, les activités de la Police et de la Gendarmerie, devenue le nouveau percepteur important de la République par le montant énorme des amendes perçues pour des excès de vitesse majoritairement marginaux.

-          Les autos seraient la cause essentielle du réchauffement climatique alors qu’en Europe, la voiture de  « Mr Toutlemonde » rejette moins de 10% des émissions totales de CO2, mais …  affronte au moins 90% des assauts médiatiques contre les gaz à effet de serre.

 

Les constructeurs sont responsables de cette situation : le prétendu lobby de l’Automobile, malgré ses énormes moyens, se révèle inefficace face au lobby de l’impérialisme écologique, au point qu’aujourd’hui, l’acheteur culpabilise en commandant une nouvelle voiture : OUI, l’Automobile française risque fort de disparaître à terme !!!

 

Le marché devrait se creuser encore de 15 à 20% en 2009, se stabiliser en 2010 pour reprendre sa croissance en 2011, si tout va bien…

 

2/ la voiture Tout Electrique sauvera-t-elle la situation ?

 

Malgré les progrès de la technologie des batteries, l’autonomie reste un écueil incontournable. On évoque une autonomie théorique de 160 voire 200 kms. Mais qu’en est-il avec tous les « consommateurs » de l’auto, en action : chauffage, conditionnement d’air, essuie-glaces, éclairage, assistance diverses ? On connaît pourtant la réponse : la moitié, soit une centaine de kms. C’est encore, théoriquement suffisant pour un usage urbain/suburbain. Mais on va se heurter à des habitudes bien ancrées : aujourd’hui, combien d’automobilistes acceptent de partir avec leur témoin de jauge carburant allumé ?

Pour cette raison, la voiture tout électrique restera à vocation urbaine ; or, la voiture strictement urbaine est un mythe réservé aux « happy few » multimotorisés car pour prétendre à une diffusion de masse, une voiture doit d’abord être polyvalente. La SMART a coûté 500 Millions d’euros par an à Daimler Benz pendant 9 ans, avant que le prix prohibitif des carburants ne la rende, provisoirement, tout juste rentable (135 000 véhicules vendus en 2008 dans une usine dimensionnée à 200 000).

On pourrait objecter qu’une incitation fiscale de  5 000 €, comme c’est le cas en France, est de nature à booster ce petit segment de marché. Comme toute solution artificielle, cette mesure n’est pas réaliste : elle coûterait trop cher à l’Etat en cas de développement du marché (20 000 ventes = 100 millions d’euros).

Elle est injuste car les vrais écolos utilisent les transports en commun (qui finiront bien par être efficaces) et n’accepteront pas de contribuer au financement de la voiture des « nantis ».

Quant à l’utilisation routière de la voiture tout électrique, le problème de l’autonomie la renvoie dans le domaine de l’utopie malgré la proposition de changement éclair de batterie en station service défendue par Renault et son partenaire Project Better Place, dont l’expertise automobile est bien connue …

La manipulation d’un bloc fragile de 400 à 500 kg et d’un volume de 300 à 400 litres pose des problèmes énormes d’accessibilité dans l’auto, de standardisation, de stockage, de sécurité des branchements.

En outre, cela imposerait aux automobilistes des itinéraires dédiés, jalonnés , alors que l’usage de l’automobile est avant tout, motivé par la liberté : aller où on veut, quand on veut, par où on veut, avec ses bagages, sans être soumis aux contraintes et aléas des transports publics. L’Automobile routière est incompatible avec un « fil à la patte » !

 

A cet égard, on ne peut qu’approuver les conclusions du sérieux rapport Syrota, trop vite mis au placard.

 

Pour toutes ces raisons, le marché de la voiture tout électrique ne peut être qu’un marché de niche, à 10/20 000 ventes/an et non comme le prétend Renault, un marché de masse à 100 000/200 000 ventes, capable de remplir son usine de Flins. Mais gare aux dégâts au réveil !!

 

3/ Des solutions réalistes de gains de CO2 et à portée de main :

 

Toyota prouve depuis plus de 10 ans maintenant que la voiture hybride est une voie plausible ;  Honda, Ford, G.M. l’on rejoint. Mais nos constructeurs nationaux, arc-boutés à leur solution Diesel n’ont pas encore commercialisé de versions relevant de cette technique. J’y vois une raison majeure : la voiture hybride est une solution qui peut être acceptable en coût si elle permet un down-sizing moteur efficace. Or, nos « nationaux » ne disposent pas, dans leur gamme, de petits moteurs de construction économique à trois cylindres de moins de 1000 cm3 en essence ou 1200 cm3 en Diesel. Pour des constructeurs dont la gamme est pourtant centrée basse, c’est sans aucun doute, une erreur stratégique, car, au vu des conditions de circulation actuelles, leurs modèles d’entrée de gamme sont, en fait, surmotorisés !

 

Avant d’en venir à la révolution électrique, il y a encore d’autres techniques d’optimisation du rendement des moteurs thermiques ou des transmissions largement exploitées par les concurrents, mais boudées par PSA et Renault :

-          l’injection directe essence type FSI

-          la transmission CVT

-          la boîte 7 vitesses à double embrayage type DSV

 

 

4 / L’APRES CRISE

 

Pour retrouver la croissance dans les meilleurs délais, il faut que l’industrie automobile française puisse saisir l’opportunité d’exporter dans les pays qui seront les premiers sortis de la crise. Pour cela, il faut des produits attractifs, désirables, innovants, par rapport aux produits de la concurrence et de préférence, centrés en haut de gamme où les marges sont élevées. Malheureusement, malgré leurs efforts, nos constructeurs ne sont pas très crédibles en haut de gamme. Cela tient en partie au fait que depuis des décennies, la France est un des grands pays d’Europe où la part de marché du haut de gamme est la plus faible (17% en France pour 33% en Allemagne et 26% de moyenne en Europe), et cela, en partie, à cause d’une fiscalité « émasculante ».

 Pour réussir en haut de gamme, il faut, en effet pouvoir s’appuyer sur un marché national fort. Il faut donc éviter qu’en cette période de crise, l’intervention de l’Etat n’en rajoute ! C’est déjà le cas du Malus.

Sous la responsabilité des constructeurs, il faut aussi une bonne crédibilité technologique. Dans ce domaine, les bons résultats de Citroën, Peugeot et Renault au niveau le plus élevé de la Compétition Internationale, en rallies et en F1 travaillent favorablement dans ce sens.

Il faut aussi une bonne image de qualité, domaine dans lequel, malgré des progrès, nos nationaux ne sont pas au top : il ne faudrait surtout pas que les plans d’économies lancés par nos constructeurs ne les ramènent en arrière dans ce domaine ; c’est malheureusement une tendance lourde qui a été constatée par les indicateurs « qualité », dans des situations précédentes comparables.

 

5 / Le Cas Renault

 

L’organisation par le Ministère de l’Industrie , en grande pompe, des Etats généraux de l’Automobile, indique l’inquiétude des pouvoirs publics sur la santé de l’Industrie automobile française, qu’il a d’ailleurs contribué à dégrader... Mais en dehors de l’aide utile qu’il peut apporter au financement des ventes sous forme de prêts ou de subventions à la recherche, avec d’éventuelles applications à moyen terme, ce sont bien les qualités des équipes dirigeantes de nos constructeurs qui leur feront franchir ces deux ou trois prochaines années déterminantes.

 

Et on ne peut pas dire que Renault aborde ce passage difficile en bonne forme !

La part de marché de la marque Renault en Europe a perdu environ 3 points en 4 ans, soit plus de 25% de son potentiel commercial, plus de 400 000 ventes par an, deux fois la capacité d’une usine comme Sandouville ! Très longtemps, première marque vendue en Europe, elle arrive maintenant en 4ème position ! … Le taux de charge des usines européennes de Renault mesuré à fin 2007 bien avant la crise (étude Pricewaterhouse Coopers/Automotive Institute) était, à  68%, le plus bas de tous les constructeurs européens.

Rester rentable dans ces conditions peut être considéré comme un exploit de bonne gestion ;  mais on peut aussi mourir guéri …

Car, en quelque sorte, Renault a perdu son âme !

Après quelques « bides » retentissants sous l’ère Schweitzer : Avant Time, Vel Satis, Modus, la nouvelle équipe mise en place par Ghosn a parié sur la prudence, en faisant confiance au Client pour dicter son Plan Gamme … Le Constructeur, « Trend Setter » qui remodelait le paysage automobile européen dans les années 80/90 avec Espace,   Scenic,  Twingo, est rentré tristement dans le rang et nous sort maintenant des « demi-bides » dont se détournent les fonds de clientèle Renault :  Mégane 2, Laguna 3,  Twingo 2, Koleos et la multiplication de lancements de modèles et variantes ne change rien à l’affaire, preuve d’une stratégie Produit complètement inadaptée à la marque et au marché.

 

Malaise également en ce qui concerne la stratégie d’alliance : après le magistral coup Nissan en 1999, puis Dacia et, plus discutable Samsung, on a vu Renault  nouer des accords sur des marchés à risques qui ne donnent pas les résultats espérés ; c’est le cas de l’Iran et de l’Inde. Et en Russie, on peut se demander quel est l’intérêt d’investir 1 milliard de dollars dans AZTOVAZ sans s’en assurer le contrôle ?...

Mais encore plus grave, Renault reste le seul constructeur «  global » à ne pas être implanté en Chine, le 2ème marché du monde en attendant mieux ; marché où VW a vendu 1 million de véhicules en 2008 et où GM fait ses meilleurs marges !

 

On peut s’étonner aussi de la stratégie de communication du Constructeur : il investit plusieurs centaines de millions par an en F1 avec plus ou moins de bonheur (plutôt plus que moins !) mais, en communication publicitaire, il  revendique essentiellement « ECO2 » et Crash-test 5 étoiles.  Quelle cohérence ? Quelle synergie ?

On a évoqué plus haut les lacunes de la stratégie R&D en motorisations mais le pari dogmatique sur le tout électrique est encore plus inquiétant, quand il devient prioritaire dans le plan de développement : on n’a encore jamais vu un constructeur investir plusieurs centaines de millions d’euros sur un modèle adossé à une technique qu’il ne maîtrise pas : celle des batteries !

Après un tel fiasco stratégique, on espère un sursaut de Renault, comme il en a déjà produit  dans le passé, dans des circonstances dramatiques. Il faut pour cela remobiliser les forces vives de la maison ; mais qui va le faire ? Car, on peut s’étonner que ce soit l’instigateur en titre de cette stratégie perdante qui ait été désigné en octobre dernier par Carlos Ghosn comme patron opérationnel et ce n’est pas de nature à redonner confiance tant aux collaborateurs, qu’aux investisseurs…

 

Jacques CHEINISSE  le 27 janvier 2009

 

 

 

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