L’HOMME INDISPENSABLE !
Suite à cette affaire d’espionnage chez Renault et au licenciement scandaleux de trois cadres supérieurs irréprochables, la vindicte médiatique et politique a largement visé la tête de Carlos Ghosn. Mais l’habile PDG s’est empressé de convoquer son dévoué Conseil d’Administration qui, pris à contrepied, a soutenu à l’unanimité ses décisions, pensant ainsi faire front à l’attaque habilement déviée par Carlos de sa propre personne sur Renault. Et maintenant la presse, prétendument sérieuse présente M.Ghosn comme l’homme indispensable en tant que pivot de l’Alliance. C’est le cas du Monde daté des 20/21 mars et du Point du 17 mars où on peut lire en conclusion de l’article « L’accident de Carlos Ghosn » :
« Si le patron, en disgrâce à l’Elysée, a pour l’instant sauvé sa tête, c’est moins en raison de sa réputation de supermanager que parce qu’il constitue le dernier rempart français au sein d’une alliance Renault-Nissan aujourd’hui déséquilibrée au profit des Japonais (Nissan pèse 32 milliards d’euros en bourse contre 12 pour Renault ). »
On croit rêver… car il faut être bien naïf pour penser que Carlos Ghosn est le français qui défend les intérêts de Renault contre Nissan ; les exemples du contraire abondent, j’en ai déjà cité quelques uns dans ce blog. Et c’est cyniquement logique puisque M.Ghosn est payé six ou sept fois plus cher par Nissan. L’ennui c’est que cette idée toute faite de l’homme indispensable prévaut dans les milieux de la finance mal informés et aussi, hélas, chez l’actionnaire principal, un peu comme la femme battue qui ne peut pas se passer de son tortionnaire…
Faut-il rappeler quelques chiffres faciles à vérifier :
Quand on écrit que Nissan pèse 32 milliards € contre 12 pour Renault, ce dernier détenant environ 44% du premier, devrait logiquement être crédité à ce titre de 13,9 milliards d’€ et donc, si sa capitalisation boursière est à 12 milliards, c’est qu’on estime que Renault, en propre ne vaut plus rien…Or, au 31 dec 1998, avant la prise de contrôle sur Nissan , Renault pesait 9,18 milliards d’€ (98), sans Nissan, sans Dacia, sans Samsung !
En 1999 la marge opérationnelle de Renault (seul) était de 5,9%...pour 2,8 en 2010 avec le renfort actif de Dacia et Samsung.
Le 27 mars 1999, Renault prenait 36,8% du capital de Nissan, soit pour Renault un engagement de 5 milliards d’euros environ. Carlos Ghosn en devenait le Directeur Général puis quinze mois plus tard le Président et Chief Operating Officer.
Après la fermeture de 5 usines, le licenciement de 21000 employés, la réduction drastique du nombre de fournisseurs de 1145 à 600, la vente des bijoux de famille qui n’étaient pas dans le cœur de l’activité automobile, le Revival Nissan Plan a réussi, Bravo Monsieur Ghosn !
Renault encaisse largement les dividendes de son opération japonaise, mais à quel prix ? Si Nissan s’est indiscutablement enrichi au sein de l’Alliance, Renault s’est appauvri ! On l’a vu en termes financiers pour la capitalisation boursière et la marge opérationnelle ; au niveau commercial c’est pareil :
En 2000, Renault (seul) réalisait 2 338 000 ventes dans le monde pour 2 625 000 en 2010 avec Dacia et Samsung, soit +12%.
En 2000, Nissan réalisait 2 561 000 ventes dans le monde pour 4 081 000 en 2010, soit +59% !
On voit bien que les résultats de « supermanager » qui a la responsabilité des deux entreprises sont pour le moins déséquilibrés.
Aujourd’hui, au vu de ces résultats indiscutables, il faut objectivement et sans tabou, se poser la question du véritable intérêt de Renault dans cette Alliance, ! Certaines synergies ont des effets financiers positifs évidents à court terme, mais qu’en est-il de l’avenir ? Je prendrais l’exemple de cette nouvelle synergie annoncée dans le Plan Renault 2016 qui consiste à fusionner les plateformes C (Mégane) et D (Laguna) : ça reviendrait à créer pour Renault et Nissan une base roulante intermédiaire qui risque d’être plus chère qu’un base spécifique C à très gros volumes et insuffisante en prestations face aux attentes des clients du segment D ; en cours d’élaboration, on tirera les coûts pour être bien centrés en prix du segment C, prioritaire en volumes et on sacrifiera ainsi les prestations nécessaires au segment D, d’où la disparition définitive programmée de Renault en Haut de Gamme. Nissan s’en sortira car il dispose d’une base roulante E…
L’idée dominante de la rentabilité par les volumes est à combattre : BMW fait la démonstration qu’on peut viser des marges opérationnelles de 8,5% avec des volumes de un million de voitures !
Si on veut éviter à Renault une dérive à la G.M., le personnel encore lucide doit organiser la résistance à la pensée unique qui leur est imposée et lancer le chantier d’un bilan objectif de l’Alliance et de ses apports respectifs à chacun des partenaires !