Responsables mais pas Coupables !
Apparemment, les décisions prises par le Conseil d’Administration ce 11 avril ne satisfont ni le personnel-maison, ni les syndicats, ni les médias, ni la bourse, ni l’Establishment (voir la réaction très digne de Mme la Présidente du Medef)…y aurait-il problème ??
En fait de sanctions pour clore ce retentissant scandale, seuls les trois membres de la direction de la sécurité du groupe sont clairement licenciés : c’est bien le moins et avait-on réellement besoin d’un rapport d’audit et de l’expertise du Cabinet Bearing Point pour établir leur responsabilité ? Il est vrai que leur directeur, Rémi Pagnie est, si j’ai bien compris, une recrue personnelle de Carlos Ghosn et que son rattachement hiérarchique n’est pas très clair. Le « matriciel » est tellement développé chez Renault qu’on peut concevoir que la recherche en responsabilité n’est pas aisée ; par exemple, on n’a jamais entendu parler au cours de cette lamentable affaire de la supérieure hiérarchique directe de deux des cadres incriminés à tort, la Patronne de l’Ingéniérie ; les deux audits ne la mentionnent pas non plus, mais quelle crédibilité lui reste-t-elle dans sa gestion journalière des quelques milliers d’ingénieurs et cadres qu’elle a sous sa « responsabilité » et, par là, est-ce que ce mot a encore un sens chez Renault dans la gestion des hommes ?? Bonne chance à Mme Damesin, nouvelle patronne DRH !
Pour les autres dirigeants concernés (je crois même avoir lu « impliqués » quelque part…), M.Caudriou, Directeur des Cadres Dirigeants, M.Husson, Directeur Juridique et Président du Comité de Déontologie…(si vous avez écouté les 25 mn de son entretien pré-licenciement avec M.Tennenbaum diffusé sur l’Express.fr, le mot prête à sourire…) et Mme Dors, Secrétaire Générale, ils sont « relevés de leurs fonctions dans l’attente des discussions quant à leur avenir » : sans doute, Responsables, mais pas Coupables !
Au moins, Patrick Pelata a-t-il eu assez d’honneur pour offrir sa démission dès le C.A. du 14 mars qui l’avait alors refusée à l’unanimité. Cette fois, il est lui aussi, relevé de ses fonctions, continuant de gérer les affaires courantes jusqu’à…son départ de Renault. Après quoi, il se verra proposer d’autres fonctions au sein de l’Alliance Renault-Nissan. Traditionnellement, les Japonais n’ayant pas le même sens de l’honneur que les Français, ça risque d’être intéressant à suivre. M.Ghosn a tenu à souligner à cette occasion « que les compétences de Patrick Pelata restent précieuses et constituent un atout pour le Groupe ».
Il a donc bien changé le fameux PDG depuis ses brillantes leçons du Management par Objectifs négociés ; car on peut estimer que son fidèle et complice lieutenant a manqué les objectifs les plus importants qui lui avaient été assignés solennellement le 9 février 2006 lors du lancement du plan « Renault Contrat 2009 , plan de Renault, par Renault et pour Renault », qui se voulait réaliste car fondé sur un diagnostic précis. C’était tellement vrai que la faillite de ce plan explique la déconfiture actuelle de la marque Renault résumée dans un seul chiffre : en 2000 Renault seul réalisait 2 338 000 ventes dans le monde pour 2 114 000 en 2010 dont environ 300 000 Dacia badgées Renault au Brésil, en Russie et ailleurs. La crise économique est venue à point pour sauver ces Messieurs du ridicule sur les objectifs quantitatifs de ce plan de +800 000 véhicules vendus et une marge opérationnelle de 6% ; mais les objectifs les plus importants, porteurs d’avenir concernaient une offensive produit de grande ampleur et M. Pelata, en tant que responsable en titre de la stratégie produit en était le dépositaire :
1/ « Renouvellement avec rigueur et créativité de quelques piliers de la gamme : Mégane, Kangoo, Twingo, Master » : par rapport à la Twingo de 1993, quelle créativité dans Twingo2 qui, avec une richesse d’offre beaucoup plus large que son ainée est à -25% de ses volumes ?
2/ « Un nouveau Haut de Gamme….qui nous permettra de doubler le nombre de véhicules vendus à un prix supérieur à 27 000€ » : Laguna3, au cœur de cette stratégie, s’est avérée un douloureux bide malgré certaines qualités objectives et défauts inhabituels chez Renault dans les domaines du confort, du coût d’utilisation et du design ; résultat : seulement 51 000 ventes en Europe en 2010 pour 75 000 à la Citroën C5, 100 000 à la Ford Mondeo, 139 000 à l’Opel Insignia, 171 000 à la VW Passat ! Pratiquement sortie du marché…pour mémoire Laguna1 se vendait à 250 000 exemplaires par an!
3/ « Dans le Haut de Gamme nous proposerons des voitures innovantes et judicieuses : des SUV, des 4X4, des Cross-Over » : rien de tout ça, sinon un mièvre Koleos hérité de Samsung qui a le succès qu’il mérite, 14 000 ventes pour 110 000 VW Tiguan ou 74 000 Ford Kuga !
A la place de l’élargissement justifié de la gamme Renault demandé en 2006 à travers ce plan, on assiste au contraire à l’abandon du haut de gamme, segments D et E, Laguna et Vel Satis, qui n’ont pas de remplaçants planifiés et surtout, on est incapable de remplacer l’emblématique Espace qui faisait la crédibilité de Renault en haut de gamme, abandonnant ses importants parcs de clientèles aux concurrents.
De même, il était demandé de « continuer à innover en sécurité passive pour consolider notre position de leader européen », position confirmée dans une enquête annuelle du célèbre magazine allemand « Auto Motor und Sport » : à la question : « Marque ayant de hauts standards en matière de sécurité », Renault sortait effectivement en tête en 2007 avec 22% de citations devant VW à 19%. Dans l’enquête 2011, ça s’est inversé : VW est à 32% quand Renault est dans le bas du tableau à 7%. On ne fait pas impunément de la publicité institutionnelle vantant les mérites de la (future) voiture électrique présentée comme la panacée écologique sans risquer le discrédit sur la gamme classique qu’on a à vendre…
Mais, même dans ce domaine de l’environnement, l’image de Renault est en échec grave: dans la même enquête, à la question « fait des voitures respectueuses de l’environnement » Renault est à 2% quand Toyota est à 38% et VW à 35%...Pour la diminution des émissions de CO2, le plan 2006 affirmait « nous préparons une palette complète de technologies alternatives telles que les hybrides, les piles à combustible, les véhicules électriques, sans oublier les transmissions variables…….et nous continuerons d’optimiser les moteurs traditionnels » . Résultat : on a laissé à PSA et aux autres la technologie hybride, on a pris 10 à 15 ans de retard sur les motorisations thermiques et les transmissions type double embrayage et on se polarise sur le véhicule électrique , pari à 4 milliards d’euros, encore plus scandaleux et lourd de conséquences à court et moyen terme, que l’affaire de faux espionnage industriel qui y est plus ou moins liée, car le véhicule tout électrique n’est ni la solution écologique (avant de la stocker, il faut d’abord produire de l’électricité, comment ?), ni économique (elle a besoin d’être subventionnée en recherche et conception, en infrastructures, en aide à l’achat, en utilisation), ni commerciale (rapport coût/prestations désastreux à cause de l’autonomie).
Au-delà des effets de la crise économique le plan « Renault Contrat 2009 », subrepticement enterré a été un échec cuisant, sans que ça n’ait déclenché ni sanctions ni réflexions de fond, on ne voit pas dans ces conditions pourquoi on accorderait le moindre crédit au « Drive the Change 2016 »
En tous cas Merci à MM. Pelata et Ghosn pour leur bon travail et…continuez !!